Les bulles spéculatives semblent inhérentes au capitalisme. Comment se forment-elles ? Est-il possible de les identifier ? De les éviter ?
La formation de bulles spéculatives est un phénomène récurrent dans l’histoire économique depuis le XVIIe siècle et la bulle des tulipes en Hollande.
Une bulle spéculative est une situation où le prix d’un bien est anormalement élevé par rapport à sa valeur fondamentale.
Une bulle spéculative peut se présenter sur les marchés financiers, le marché immobilier, celui de matières premières, voire sur les marchés des cryptomonnaies.
Comment un actif peut-il s’écarter anormalement de sa valeur fondamentale ? Parce que cette valeur fondamentale est difficile à mesurer.
Théoriquement, la valeur fondamentale d’un actif est égale à la somme actualisée de ses revenus futurs. Or cette somme est largement hypothétique et peut varier en fonction de différents facteurs. C’est cette incertitude sur la valeur fondamentale d’un bien qui ouvre la porte à la formation de bulles spéculatives.
Les cryptomonnaies représentent à ce titre un cas d’école : leur valeur fondamentale reste très largement incertaine car les revenus futurs qu’ils génèrent restent mal connus.
Jusqu’à l’éclatement d’une bulle, les investisseurs penseront que la valeur de l’actif est cohérente avec sa valeur fondamentale. Ce n’est qu’après l’éclatement qu’ils s’apercevront qu’il n’en était rien.
La première bulle connue : La bulle des Tulipes
La première bulle spéculative de l’histoire éclate en Hollande en février 1637, à la suite d’une intense spéculation sur les tulipes.
Tout débute avec l’apparition de la tulipe en Europe vers la fin du XVIe siècle. La fleur aux couleurs vives est adoptée par les classes les plus aisées et au début du XVIIe siècle aux Pays-Bas, un grand nombre de variétés de tulipes sont créées par des horticulteurs.
Jusqu’en 1634, le marché de la tulipe est semblable à celui du marché de l’art. Un milieu réservé aux plus aisés où le client passe commande à un horticulteur pour faire pousser la variété qu’il désire. La commande est passée à partir de l’automne lorsque les bulbes sont plantés, et le paiement se fait à l’été lorsque la fleur sort de terre et que le client est certain que ce qu’il achète correspond bien à ce qu’il avait commandé. Or, les tulipes qui attirent le plus sont les plus rares. La demande pour certaines espèces explose.
À partir de 1635, plusieurs innovations financières accélèrent le développement de la bulle spéculative.
L’innovation la plus importante est l’introduction des billets à effet qui précisent les caractéristiques du bulbe et son prix.
Ces billets permettent aux acheteurs de revendre un bulbe encore en terre, en échangeant non plus le bulbe lui-même mais le billet. Le marché des tulipes devient alors un marché à terme, un marché où le dénouement des opérations d’achats et de ventes est différé dans le temps. Ce marché à terme favorise la spéculation.
Ce marché à terme se développe encore grâce à l’essor du crédit qui génère un effet de levier. Les prix augmentent fortement, ce qui attire de nouveaux participants à ce marché.
Le nombre de transactions augmente également et il n’est pas rare de voir un billet à effet changer de mains à de multiples reprises avant la floraison de la tulipe.
En janvier 1637, au sommet de la bulle, une tulipe pouvait valoir jusqu’à 15 années de salaire d’un artisan.
L’éclatement de la bulle se produit le 3 février 1637. Le krach est déclenché par l’absence totale d’acheteurs lors d’une vente aux enchères. Cela suffit pour provoquer le retournement complet du marché. En quelques jours les bulbes de tulipes deviennent invendables, ou alors avec une décote de 95 % à 99 %.
Le 23 février 1637, une réunion nationale des horticulteurs décide que les ventes conclues après le mois de novembre 1636 seront annulées en échange d’un petit pourcentage du montant de la transaction conclue. Dans les faits, la majorité des contrats a simplement été rompue.
Source : La finance pour tous
Au début, il y a un sentiment d’optimisme quant aux perspectives de profit anticipées pour un produit ou un service. Quelques investisseurs flairent la bonne affaire et le prix de l’actif considéré progresse modérément. Les investisseurs restent plus nombreux que les spéculateurs.
La bulle naît ensuite lorsque la hausse initiale alimente des anticipations de hausses futures. Une mécanique se met en place où c’est la hausse qui justifie la poursuite de la hausse : la hausse est auto-entretenue et n’est plus justifiée par la valeur fondamentale. Aux investisseurs qui pensent que « cette fois, c’est différent » s’ajoutent des spéculateurs qui achètent pour revendre et générer un profit rapidement.
La perspective d’un enrichissement rapide conduit par ailleurs les acheteurs à prendre plus de risques pour augmenter encore leurs profits.
La bulle se développe puis bascule dans l’euphorie lorsque l’actif devient pour le grand public une opportunité à ne pas rater. C’est alors une période délirante où le prix déjà élevé s’envole.
La bulle se fragilise lorsque certains investisseurs/spéculateurs commencent à comprendre que l’actif est (trop) surévalué et que la hausse ne pourra pas durer. Ils sortent alors du marché et provoquent un rééquilibrage de l’offre et de la demande.
La dynamique de la bulle s’essouffle à mesure que les spéculateurs et investisseurs avertis délaissent le marché au profit d’investisseurs débutants qui croient avoir trouvé le produit miracle. L’euphorie cède alors la place à l’inquiétude : Pourquoi les prix progressent-ils moins vite ?
Cette inquiétude se transforme ensuite en panique lorsque les prix commencent à diminuer. Tout le monde voulait acheter, tout le monde veut maintenant vendre… sauf qu’il n’y a plus d’acheteurs. C’est le krach. Les prix s’effondrent et la bulle éclate.
L’éclatement d’une bulle n’affecte pas uniquement ceux qui ont investi ou spéculé sur l’actif considéré. Il peut aussi impacter d’autres agents économiques tels que les banques qui avaient prêté pour financer cette bulle ou encore des salariés dont l’entreprise fait faillite. L’éclatement d’une bulle sur un actif peut provoquer une crise financière puis une crise économique.
Il est très difficile de détecter une bulle qui naît puisque l’écart entre la valeur fondamentale et le prix de l’actif reste limité et peut être justifiée.
Il semble plus facile de détecter une bulle qui se développe. Cependant, tous les mouvements de hausse plus ou moins rapide du prix d’un actif ne traduisent pas l’existence d’une bulle. Et dans tous ces mouvements de hausse, certains y voient une bulle tandis que d’autres y voient une évolution justifiée par les perspectives de revenus futurs.
Si la hausse des prix est visible, il est difficile de savoir si elle est fondamentalement justifiée.
La période d’euphorie peut plus facilement être détectée, mais il est déjà trop tard.
Finalement, c’est lorsque la bulle éclate que la hausse des prix apparaît pour ce qu’elle était : un excès d’optimisme.
Dans la mesure où il est difficile de les détecter, il est difficile de les empêcher.
De plus, les bulles spéculatives sont alimentées par l’appât du gain et l' »effet de mode », et renforcées par des biais comportementaux. Parvenir à éviter les bulles spéculatives paraît donc largement illusoire.
Faut-il alors interdire la spéculation ? Certainement pas. La spéculation a des défauts mais aussi des avantages. Les spéculateurs sont aussi ceux qui prennent les risques que les autres ne veulent pas prendre.
Il y aura des bulles tant que des investisseurs et des épargnants auront peur de risquer de passer à côté d’une opportunité unique dont tout le monde profite. il y aura des bulles tant que certains préféreront se tromper avec tout le monde plutôt que d’avoir raison tout seul.
Les bulles financières jalonnent l’histoire du capitalisme depuis le XVIIe siècle. Voici quelques exemples :
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Titulaire d'un master en gestion de patrimoine et docteur en économie.