Et si on vous donnait de l’argent pour le dépenser ? Vous en rêvez, Mario Draghi pourrait le faire.
Sommaire
Les résultats plutôt décevants du Quantitative Easing de la BCE ont conduit à l’émergence d’une alternative qui peut paraître incroyable. Pour relancer l’inflation et la croissance économique, il s’agirait de donner directement de l’argent aux agents économiques, ménages et/ou entreprises. Si cette idée est moins farfelue qu’elle n’y paraît, elle constitue néanmoins un pari risqué. Son succès n’est pas assuré et elle pourrait avoir de fortes conséquences négatives.
La zone euro peine à se relever de la crise des subprimes. Elle a connu sa propre crise des dettes souveraines, qui a débouché sur des politiques d’austérité qui ont freiné la reprise. Malgré une politique monétaire accommodante et des taux directeurs portés à des niveaux proches de zéro, la croissance de la zone euro s’est révélée sensiblement inférieure à celle du Royaume-Uni ou des Etats-Unis. Le diagnostic est identique pour la France. Même si elle n’a pas connu de récession en 2012 et 2013, sa croissance est extrêmement faible depuis 2012.
2004 | 2005 | 2006 | 2007 | 2008 | 2009 | |
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Zone euro | 2,3 | 1,7 | 3,2 | 3,1 | 0,5 | -4,5 |
France | 2,8 | 1,6 | 2,4 | 2,4 | 0,2 | -2,9 |
UK | 2,5 | 3,0 | 2,7 | 2,6 | -0,5 | -4,2 |
USA | 3,8 | 3,3 | 2,7 | 1,8 | -0,3 | -2,8 |
source Eurostat, BEA |
2010 | 2011 | 2012 | 2013 | 2014 | 2015 | |
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Zone euro | 2,1 | 1,6 | -0,9 | -0,3 | 0,9 | 1,6 |
France | 2,0 | 2,1 | 0,2 | 0,7 | 0,2 | 1,2 |
UK | 1,5 | 2,0 | 1,2 | 2,2 | 2,9 | 2,2 |
USA | 2,5 | 1,6 | 2,2 | 1,5 | 2,4 | 2,4 |
source Eurostat, BEA |
La crise des dettes souveraines et son impact sur l’économie de la zone euro ont conduit la BCE à réduire son taux de refinancement jusqu’à zéro en mars 2016. Ce taux représente le principal outil dont dispose la BCE pour influer sur l’octroi de crédits et moduler l’inflation dans la zone euro. Il est le véritable baromètre du coût du crédit dans les pays qui ont adopté la monnaie unique européenne (source : Wikipedia)
Malheureusement, cette baisse de taux ne s’est pas révélée suffisante pour relancer une demande affaiblie par des politiques d’austérité et un endettement privé et public élevés. En plus d’avoir freiné le redémarrage de la zone euro, les politiques d’austérité ont provoqué un ralentissement de l’inflation se traduisant même dans certains pays par une situation d’inflation négative. Or, si l’inflation négative est acceptable, elle ne doit absolument pas se transformer en déflation.
Face à une situation économique dégradée où
la BCE n’a eu d’autre choix que de recourir à un assouplissement quantitatif (Quantitative Easing).
Suite à la crise des subprimes, les marchés obligataires ont commencé à douter de la solvabilité de certains Etats de la zone euro. A partir de 2010, les gouvernements de ces Etats ont donc resserré leur politique budgétaire pour ramener l’endettement public sur une trajectoire plus soutenable, maintenir la confiance sur les marchés obligataires et éviter une contagion au reste de la zone euro.
La consolidation budgétaire a représenté environ 4 % du PIB de la zone euro entre 2011 et 2013. Menée alors que la zone euro se trouvait en récession, cette austérité a échoué.
Les Etats-membres de la zone euro ont adopté des plans d’austérité simultanément, alors même que leur demande globale était insuffisante et leur taux de chômage élevé. Par ailleurs, la politique monétaire accommodante menée par la BCE n’a pu compenser cette austérité parce que l’économie de la zone euro se trouvait dans une trappe à liquidité (situation ou la politique monétaire n’a plus d’effet sur l’économie). En conséquence, cette austérité généralisée s’est révélée désastreuse. Chaque plan d’austérité national a contribué à réduire la demande dans les autres pays-membres.
Il semblerait ainsi que la consolidation budgétaire se soit révélée particulièrement coûteuse. En l’absence de consolidation budgétaire, certains travaux estiment que le PIB de la zone euro aurait été supérieur de 4,3 % en 2011 et de 7,7 % en 2013. Ces politiques d’austérité auraient également provoqué une détérioration du ratio dette/PIB, qu’elles devaient pourtant améliorer.
Source : D’un champ l’autre
En janvier 2015, la Banque Centrale Européenne a annoncé un programme de rachats massifs de dettes publiques (des obligations souveraines émises par les Etats de la zone euro et les institutions européennes) et privées, d’un montant de 60 milliards d’euros par mois jusqu’en septembre 2016.
L’objectif de ce programme consiste à enclencher un cercle vertueux : une demande accrue d’obligations doit augmenter leur valeur et provoquer une baisse de leur taux d’intérêt. Les banques seront alors incitées à prêter aux entreprises et aux consommateurs plutôt que d’acquérir des obligations à rendement nul, voire négatif. Par ailleurs, des taux bas doivent favoriser l’endettement et donc la demande (investissement ou consommation). Enfin, les taux bas doivent provoquer une baisse du cours de l’euro par rapport aux autres devises. Cette baisse de l’euro favorisera les exportations et contribuera au retour de l’inflation grâce au renchérissement des importations.
source : Dessine-moi l’éco
Un an après le lancement du QE de la BCE, force est de constater qu’il n’a pas répondu à toutes les attentes. Un renforcement est même intervenu le 10 mars 2016, et de nouvelles mesures ont été annoncées. Ainsi, la BCE a ramené son principal taux directeur de 0,05 % à 0 %. Les rachats de dettes publique et privée ont quant a eux été portés à 80 milliards d’euros par mois et étendus à des obligations d’entreprises. Enfin, le taux de dépôt a encore été abaissé pour décourager les capitaux tentés de se placer en zone euro et affaiblir l’euro face aux autres devises. Ces mesures doivent permettre de relancer une inflation retombée à – 0,2 % en zone euro en février.
Le retour de l’inflation en territoire négatif malgré la mise en place d’un assouplissement quantitatif conduit à douter de son efficacité. Malgré les armes massives déployées par la BCE, l’inflation demeure sous sa cible de 2 % depuis trois ans. Par ailleurs, plusieurs objectifs du QE n’ont pas été atteints.
Face à ce semi-échec (il semble quand même acquis que la situation aurait été pire sans le QE de la BCE), une nouvelle mesure est suggérée. Puisque l’argent du QE reste bloqué dans le système financier, il s’agirait que cet argent soit directement injecté dans l’économie réelle. Par ailleurs, il ne serait plus prêté mais donné. La « monnaie helicoptère » serait-elle LA solution pour enclencher une véritable reprise en zone euro ? En tout cas, Mario Draghi lui-même trouve cette option « très intéressante ».
Comme il l’a signalé lors de sa conférence de presse du 10 mars 2016,
« helicopter money. It’s a very interesting concept that is now being discussed by academic economists and in various environments. But we haven’t really studied yet the concept. […] From today’s perspective, and taking into account the support of our measures to growth and the return to our price stability objective, we don’t anticipate that it will be necessary to reduce further rates. »
Dans une situation ou la déflation menace et où la demande est faible, une relance budgétaire couplée à des taux d’intérêt durablement bas permettent de relancer la croissance et l’inflation. Cependant, les effets de cette relance peuvent être annulés si les ménages et les entreprises estiment qu’elle sera financée par des hausses d’impôt futures (équivalence ricardienne). Il peut alors être envisagé de recourir à la monnaie hélicoptère.
Comme le rappelle Julien Pinter, secrétaire général de BSI Economics,
« La métaphore de l’hélicoptère nous vient de Milton Friedman […]. Il l’emploie […] lorsqu’il tente d’expliquer par un exemple simple pourquoi la monnaie est neutre sur le long terme. Il utilise alors l’image d’un hélicoptère qui passerait au dessus d’un pays pour distribuer de la monnaie aux agents, qui subitement verraient leurs avoirs monétaires doublés. La métaphore employée par Friedman décrit donc un fait où les agents économiques d’un pays se retrouveraient avec de l’argent nouvellement créé sans qu’aucune autre variable n’ait fondamentalement changé. »
La monnaie hélicoptère consiste donc à donner de l’argent aux citoyens. Deux modalités généralement privilégiées :
Suffit-il vraiment de distribuer de l’argent pour relancer la croissance ? L’économie se résumerait-elle à un immense Monopoly ?
Comme le Quantitative Easing, la monnaie-hélicoptère correspond à une création monétaire. Ces deux mesures de politique monétaire non conventionnelles contribuent à gonfler le bilan des banques centrales qui les déploient.
En revanche, la monnaie hélicoptère se distingue du Quantitative Easing sur deux points : outre que l’argent créé n’implique pas nécessairement l’achat de dettes mais peut être distribué directement aux citoyens, ce mécanisme est permanent. L’argent distribué ne sera jamais remboursé. Comme le souligne Simon Wren-Lewis,
« the central bank is sending out cheques, not loans »
La distribution par la BCE de sommes ne reposant sur aucune contrepartie pourrait-elle réellement relancer l’économie ? Oui, car l’utilisation de cet argent générerait une inflation qui provoquerait une baisse du taux d’intérêt réel (l’écart entre le taux d’intérêt nominal et le taux d’inflation) et favoriserait l’investissement. La monnaie hélicoptère permettrait donc de sortir de la trappe à liquidité et de redonner de l’efficacité à la politique monétaire et au taux d’intérêt. Le choc de demande nominal se transmettrait à l’économie réelle et alimenterait la croissance. Pour être effectif, cet enchaînement repose néanmoins sur deux conditions :
La monnaie hélicoptère pourrait néanmoins se révéler inefficace si les agents privés utilisaient ces ressources supplémentaires pour se désendetter. Or, il n’est justement pas exclu que l’atonie de la demande en zone euro provienne justement d’un excès d’endettement.
Si la monnaie hélicoptère constitue une mesure crédible pour sortir la zone euro du piège déflationniste et relancer l’activité, son déploiement se heurterait à différents obstacles.
La monnaie hélicoptère représente donc un pari risqué. La Banque Centrale Européenne doit-elle mettre en danger son indépendance et sa crédibilité pour compenser l’absence de concertation et de coordination des politiques budgétaires ? Ne serait-il pas préférable de renforcer l’intégration en instaurant une véritable politique budgétaire de la zone euro, complément naturel de la politique monétaire de la BCE ?
Sans intégration accrue des économies, la monnaie-hélicoptère pourrait n’être que l’ultime étape avant la désintégration de la zone euro.
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Titulaire d'un master en gestion de patrimoine et docteur en économie.