Vivre à crédit : où sont les limites ?

par Arnaud Sylvain | Finances personnelles

Déc 20

Vivre à crédit : jusqu'où aller ?

Le crédit représente l’exact opposé de l’épargne. Alors que l’épargne consiste à consommer plus tard des ressources dont on dispose, le crédit consiste à consommer maintenant des ressources dont on ne disposera que plus tard. Ce choix de dépenser maintenant des revenus futurs est-il bien raisonnable ? Jusqu’où peut-on aller ?


Sommaire


Pourquoi s’endetter ?

L’endettement peut répondre à deux logiques : s’endetter pour investir ou s’endetter pour consommer.

S’endetter pour investir : le crédit immobilier

S’endetter pour investir revient à mobiliser des revenus futurs dans l’espoir de dépenser moins ou gagner plus (à terme). Dans les deux cas, le recours au crédit est considéré comme un moyen d’améliorer durablement sa situation future. Pour les particuliers, il s’agit essentiellement de contracter un crédit immobilier.

 

Crédit immobilier

Le crédit immobilier concerne les opérations d’achat d’un immeuble à usage d’habitation (ou professionnel et d’habitation) ou d’un terrain destiné à sa construction. Il peut également concerner les réparations, l’amélioration ou l’entretien d’un immeuble si le montant du crédit est supérieur à 75 000 €.

source : service-public.fr

 

L’acquisition d’une résidence principale consiste à investir pour dépenser moins. Elle évite en effet de payer un loyer à fonds perdus. Alors que les échéances d’un crédit immobilier permettent d’acheter chaque mois une partie de son logement, un loyer permet simplement de l’occuper. Ainsi à terme et lorsque le crédit aura été totalement remboursé, le propriétaire occupera son logement « gratuitement ». Il réalisera donc des économies comparativement à une situation où il serait locataire.

L’investissement locatif à crédit représente quant à lui un moyen d’investir pour gagner plus. Dans un premier temps, les loyers perçus permettront de rembourser une partie des mensualités du crédit. A l’issue de celui-ci, ces loyers représenteront des revenus supplémentaires.

S’endetter pour consommer : les crédits à la consommation

S’endetter pour consommer revient à mobiliser des revenus futurs pour satisfaire un besoin ponctuel et immédiat. Contrairement à l’investissement immobilier, le crédit à la consommation ne modifie ni les dépenses ni les revenus futurs.

 

Crédit à la consommation

Le crédit à la consommation concerne les prêts jusqu’à 75 000 €qui ne sont pas destinés à l’achat ou à la construction d’un bien immobilier. Il existe deux types de crédits à la consommation :

  • le crédit affecté, qui finance un bien défini (voiture, cadeau, voyage, …) et seulement lui ;
  • le crédit non affecté dont le montant est à la libre utilisation de l’emprunteur : c’est le cas des prêts personnels et des crédits renouvelables.

source : lafinancepourtous.com

 

Quel que soit le motif de l’endettement, celui-ci correspond à une ponction sur les revenus futurs. Existe-t-il des limites à cette ponction, autres que celles que l’on se fixe ?

 

Crédit immobilier : une norme bancaire aux alentours de 33 % des revenus

L’octroi d’un crédit immobilier dépend de la stabilité des revenus, du niveau des revenus, et de l’apport envisagé.

Des revenus stables pour rassurer sur les revenus futurs

La stabilité des revenus est un critère essentiel, car elle envoie un signal positif sur les revenus futurs. Or, ce sont ces revenus futurs qui rembourseront le crédit contracté. En revanche, des revenus irréguliers créent une incertitude sur les revenus futurs. Par conséquent et à niveau de revenu équivalent, un salarié en CDI sera préféré à un salarié en CDD ou à un non salarié.

Un taux d’endettement limité à 33 % pour rassurer sur les capacités de remboursement

Le niveau des revenus constitue également un critère important puisque le montant du crédit accordé y sera directement relié. Plus précisément, les mensualités de l’ensemble des crédits ne pourront excéder 33 % des revenus nets. Si cette proportion ne possède aucun fondement réglementaire, cette limitation représente une norme bancaire incontournable.

Le taux d’endettement correspond au rapport des charges d’emprunt aux revenus nets. Les charges d’emprunt sont composées de l’ensemble des mensualités des prêts existants et des prêts envisagés ; les revenus nets correspondent aux revenus certains et réguliers de chacun des emprunteurs. En pratique, les revenus et charges pris en considération dans ce ratio sont déterminés selon des règles propres à chaque établissement de crédit.

A partir de la définition du taux d’endettement et de la limite de 33 %, il est possible de calculer la capacité d’endettement résiduelle :

Capacité d’endettement résiduelle = 33 % x revenus nets – charges d’emprunt

Cette capacité d’endettement doit ensuite être couplée à un taux d’intérêt et à une durée de crédit pour obtenir le montant total pouvant être emprunté.

Un apport pour rassurer sur les risques associés au crédit

Le logement sert de garantie au crédit. En cas d’impayés, la banque le mettra en vente pour recouvrer ses fonds. En conséquence, plus l’apport sera élevé et plus la banque aura des chances de récupérer son capital en cas de défaut de l’emprunteur.

Les banques appliquent donc des règles strictes avant d’accorder un crédit immobilier. Quelques dérogations sont néanmoins possibles, qui peuvent porter le taux d’endettement au-delà de 33 %

 

On ne prête qu’aux riches… et aux investisseurs

Du taux d’endettement au reste à vivre

Lorsque les revenus sont élevés, la limite de taux d’endettement peut être repoussée. Un autre critère est retenu, celui de reste à vivre. Il ne s’agit plus de limiter l’endettement à 33 % des revenus mais de vérifier que le reste à vivre est suffisamment élevé.

Le reste à vivre correspond à la différence entre les revenus du foyer et les charges fixes. Ces charges fixes incluent toutes le charges incompressibles : le loyer, les charges de logement (y compris assurance, eau, électricité et chauffage), les pensions versées, les impôts, les frais de transport, et tous les remboursements de crédits.

Le montant du reste à vivre nécessaire varie suivant la localisation géographique (il est majoré pour la région parisienne), la composition du foyer et la banque sollicitée. Il est généralement admis que le reste à vivre minimum pour une personne seule et sans enfants s’établit à 700 euros. Il est de 800 euros pour un couple et augmente de 300 euros par personne à charge. Pour un couple avec deux enfants, le reste à vivre s’établit donc à 1 400 euros.

La compensation des revenus, un outil puissant au service de l’investissement locatif

Lorsque des emprunteurs présentent un profil recherché (stabilité des revenus, taux d’endettement limité, épargne disponible, relevés de comptes présentables …) et souhaitent investir dans l’immobilier, certaines banques pratiquent la compensation des revenus pour calculer le taux d’endettement. Les loyers perçus ne sont pas considérés comme des revenus, mais viennent réduire directement les mensualités des crédits.

Alors qu’en l’absence de compensation des revenus, le taux d’endettement s’écrit

Taux d’endettement = Charges d’emprunt / (loyers nets hors charge + autres revenus)

Il devient, en cas de compensation des revenus

Taux d’endettement = Charges d’emprunt – loyers nets hors charge / autres revenus

La compensation des revenus permet donc aux investisseurs immobilier de s’endetter au-delà de la norme habituelle de 33 %.

Les banques appliquent des critères de taux d’endettement strictes lorsqu’il s’agit de contracter un crédit immobilier. Même si ces critères peuvent être assouplis pour les emprunteurs présentant les meilleurs profils, le taux d’endettement reste un critère déterminant. Aucun crédit immobilier ne sera accordé si le taux d’endettement se révèle trop élevé. Les analyses de risque menées par les banques doivent donc vous éviter un taux d’endettement trop élevé.

 

Crédits à la consommation : vers l’infini et au-delà

Alors que le taux d’endettement est un critère d’octroi d’un crédit immobilier, la situation est bien différente pour les crédits à la consommation. Si les banques restent vigilantes, les établissements de crédit spécialisés font preuve d’une plus grande souplesse. Ainsi, une simple fiche déclarative suffit pour un crédit inférieur à 3 000 euros. Au-delà de ce montant, seuls des justificatifs de domicile, de revenus, et d’identité sont obligatoires. Le montant des crédits déjà souscrits n’est ainsi pas vérifié.

L’absence de vérification formelle des crédits souscrits (par le biais des relevés de compte par exemple) permet de multiplier les crédits à la consommation. Rien d’étonnant donc à ce que ces crédits se retrouvent très souvent à l’origine des situations de surendettement. Le crédit renouvelable représente ainsi la voie royale vers le surendettement. Comme le souligne l’Institut National de la Consommation

bombe-retardement

« S’il n’est pas évident de déduire une relation de cause à effet entre l’essor du crédit renouvelable et le développement du surendettement en France, force est de constater que les personnes surendettées ont le plus souvent un ou plusieurs crédits renouvelables à leur passif. »

La vigilance des banques dans l’octroi de crédit immobilier tranche avec les conditions de validation d’un crédit à la consommation. Alors que le taux d’endettement est un critère central lorsqu’il s’agit de crédit immobilier, il est largement délaissé lors de la souscription d’un crédit à la consommation. Dès lors qu’il est possible de s’endetter à l’extrême avec des crédits à la consommation, il convient d’être particulièrement attentif aux symptômes qui traduisent une situation financière déséquilibrée.

 

Endettement : quand faut-il s’inquiéter ?

  • Lorsque le crédit à la consommation devient un mode de vie. Le crédit à la consommation est destiné à satisfaire un besoin ponctuel et exceptionnel. Il convient de s’inquiéter lorsque ce type de crédit se multiplie devient un complément de salaire.
  • Lorsque la charge de remboursement des crédits ne permet plus de disposer des ressources suffisantes pour faire face aux dépenses courantes. Une situation structurellement déficitaire se créé alors, où les dépenses excèdent les revenus. Il est alors impératif de parvenir à réduire ces dépenses, sous peine d’accumuler les dettes et de se retrouver dans une situation difficile et inquiétante.
  • En cas d’accident de la vie : Les accidents de la vie (chômage, maladie, divorce …) peuvent déséquilibrer un budget et conduire à une situation financière intenable. Ainsi, 75 % des dossiers de surendettement traités par la Banque de France concernent un surendettement passif provoqué par un accident de la vie.

Un crédit est une facilité à utiliser avec précaution, car elle consiste à utiliser maintenant des revenus futurs. Le recours débridé au crédit conduit donc à hypothéquer sérieusement l’avenir. Pour éviter de basculer vers une situation critique, la tenue d’un budget et la retenue dans le recours au crédit sont fortement recommandées.

« Un crédit vous engage et doit être remboursé. Vérifiez vos capacités de remboursement avant de vous engager »

Inscription obligatoire sur toutes les publicités pour un crédit à la consommation, imposée par la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation (Loi « Lagarde »)

 

Arnaud Sylvain, conseiller financier indépendant

Titulaire d'un master en gestion de patrimoine et docteur en économie.

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